Chapitre 2 de : « La meilleure version de Schrödi »
Illustration : ponch

 

Mille visages et aucun nom

Quelque chose le réveilla.

Pas un bruit. Pas un mouvement.

Un dérèglement.

Comme si le monde venait de cligner des yeux.

Schrödi ouvrit les paupières.

Ses pattes… fluctuaient.

Pas dans l’air, pas sur le sol, mais dans leur propre existence.

Elles n’étaient plus noires. Ni blanches.

Elles étaient… autres.

Elles semblaient chercher leur propre nature, oscillant entre des états qui ne pouvaient pas coexister.

Il ferma les yeux. Inspira. Expira.

Il les rouvrit.

Elles étaient là.

Mais étaient-elles les mêmes ?

Puis, il vit les autres.

Ils étaient partout.

Sortis du vide, de l’angle mort de la boîte, des recoins où la lumière ne s’aventurait jamais.

Dizaines. Centaines.

Des ombres de lui-même, vibrantes, trop réelles ou pas assez.

Leur pelage était semblable, mais il y avait toujours quelque chose de faux.

Une asymétrie dans le regard.
Un frisson dans leurs contours.
Une expression qui aurait dû être familière mais qui ne l’était pas.

Ils n’étaient pas des doubles.

Ils étaient des erreurs.

Schrödi n’osait pas bouger.

Ils oscillaient.

Comme des fréquences mal réglées, des interférences d’un signal brisé.

Puis, ils parlèrent.

Tous. En même temps.

Ou presque.

Avec un minuscule décalage, un écart infime qui rendait leurs voix intolérables.

Je suis Schrödi.
Je suis Schrödi.
Je suis Schrödi.
Je suis Schrödi.

Schrödi sentit son esprit se fendre comme une vitre sous la pression d’un vent trop fort.

Un seul avançait.

Différent.

Non pas par son apparence, mais par sa stabilité.

Là où les autres ondulaient, incertains, lui restait figé.

Ses contours ne tremblaient pas.

Son regard ne doutait pas.

Son sourire…

Un sourire qui n’aurait pas dû exister sur son propre visage.

Il ouvrit la bouche, et sa voix ne vacilla pas.

Tu cherches une vérité qui n’existe pas.

Schrödi sentit ses muscles se tendre.

— Qui es-tu ?

Le Schrödi immobile pencha la tête.

Je suis Schrödi.

— Non.

Alors qui es-tu, toi ?

Schrödi recula.

Le sol plia sous ses pas comme s’il marchait sur une membrane trop mince.

Les autres Schrödi chuchotaient encore, leurs voix se décalant de plus en plus, un murmure devenu un chant discordant.

Je suis Schrödi.
Je suis Schrödi.
Je suis Schrödi.
Je suis Schrödi.

SCHRÖDI (hurlant) — STOP !

Silence.

Tous les Schrödi se figèrent.

Un frisson glacé courut le long de son échine.

Puis une voix, seule.

Sa voix.

Alors… lequel d’entre nous est Schrödi?

Il sentit quelque chose se briser.

Dans son crâne.

Dans l’air autour de lui.

Dans l’essence même de son être.

Tout oscillait.

Tout cherchait un état stable.

Tout voulait une réponse.

Mais il n’y en avait pas.

Schrödi ferma les yeux.

« Je suis Schrödi. »

« Je suis Schrödi. »

« Je suis Schrödi. »

Il rouvrit les paupières.

Les autres avaient disparu.

Il était seul.

Mais il n’avait plus aucune certitude sur ce que cela signifiait.